Erika Bournet Delbosc
Murmures
Parce que lorsque l’on retire la gravité et la colère, il reste «ça»
« Sais-tu par où l’homme devrait commencer à aimer ? Une pierre, un arbre, un nuage »
Carson McCullers
« Dans sa volonté de faire demeure, la laine arrive.
Le travail textile d’Erika ne peut pas être étiqueté «land-art» aussi simplement, du moins pas en tant que partie du mouvement (elle est trop jeune) ou de l’école (à laquelle elle n’appartient pas), ni dans le sens, où la plupart, de ces artistes étaient sculpteurs. De la sculpture, je n’ai que la mollesse, bien que je sois toujours en tension.
Reste que ses œuvres peuvent être associées au land-art, non seulement visuellement, mais dans une démarche,
Dans le sens où j’utilise le paysage comme support/châssis et comme matériau/point (de vue). Un mouton passait comme cela arrive parfois, tout d’azur vêtu.
Dans le sens, où le déplacement du regardant est inhérent à sa réception de l’ouvrage. D’autant plus si il essaie de reconstituer la phrase brodée sur les voiles ou «jacquarisée» sur les corsets...
Dans le sens, où la nature est induite à l’intérieur de l’ouvrage, de sa plasticité éphémère, de sa décomposition progressive, de ses possibles mutations... Pillé, décoloré, mité, ...
Dans le sens, où mon corps tout entier, l’espace occupé et traversé par celui-ci, le temps et le chemin parcouru font œuvre.
Dans le sens, où l’ouvrage existe de part les histoires que je me raconte.
Dans le sens, où subsiste une image/témoin photographique de mes interventions.
Oui, dans le sens où je tends à initier un mouvement qui se répande et m’échappe.
Dans le sens, où au milieu du tumulte, je tente de dessiner une sorte de ligne de démarcation derrière laquelle ou sur laquelle, je fictionne le réel, je laisse filer mon temps, je flâne, je me laisse aller aux sollicitations du paysage, je dérive et je résiste.
Dans le sens, où je lie, je monte, j’agence, où je ne tiens qu’à un fil, au point où s’entrecroisent ma fiction et vos réalités.
Cette parenté avec le land-art est ancrée dans l’immémorial. Elle est l’espace du monde. Je cherchais la bande de terre qui reliait les lignes du land-art à la main d’Erika.
Un geste d’enfant, une main qui redessine l’espace, ses limites, frôlant les hautes herbes. Munis d’un bâton, le long d’une grille. Une main survolant un mur de pierres sèches couverte de laine.
Parce qu’il fut un temps où les cieux se reflétaient dans la pierre. Un temps où l’on lapide les impies, les pécheurs, les réfractaires, les forces de l’ordre... Un temps où l’on monte des murs pour contraindre les déplacements du vent. Des réfugiés, des fugitifs.
Un temps où les pierres semblent adoucies, où les pierres ainsi coloriées indiquent la brèche.
Le temps de brandir ses couleurs, ses fleurs face à l’oppresseur, ses armes. De mesurer les risques, de soulèvement des sept voiles, du masque. De se mouvoir sans être vu.
De voir la chose, les choses, devenir comme la possibilité d’un démêlé.
La laine permet d’étirer son corps, de l’étendre au monde, de s’enrouler dedans, et de redérouler, à l’infini dans un va et vient qui n’a pas de limite. »
Risque de rayonnement (ce qui est en train d’arriver) - Erika Bournet-Delbosc
Par Guillaume Bur - Paru dans Armure toile
Murmures